jeudi 22 août 2013

Dragon Magazine, Juillet 1978, Vol. 3 no 2, #16

Attention, ce numéro contient des insultes

Me voilà traité de Philistin, avec 35 ans d'avance :
Contrary to what some Philistines might think, [The Dragon] is not a fiction magazine. The Philistines I refer to are the ones that don’t want to see any fiction at all in these pages.
L'éditorial se désole aussi que trop de personnes prennent trop au sérieux toutes ces histoires de jeu, s'insultent et se brouillent sur des points de détail, et que « l'amertume et le vitriol » ont remplacé le plaisir de jouer.  D'ailleurs, Eric Holmes (celui-là même) répond aux critiques du Lovecraftiniste du numéro 14 avec un sérieux tout aussi soporifique que les critiques initiales, citations du maître de Providence à l'appui. Une véritable bataille d'experts.

Voici le ninja, une classe de NPC conçue pour être un « tueur » de PJ trop puissants. Je me souviens avoir testé cette classe en tant que joueur, bien évidemment, et j'avais dégoûté toute la table, raflant tous les XP des monstres à coups de shuriken empoisonnés. Comment dit-on « gros bill » en japonais ?

Le réalisme, maladie infantile du rôlisme

(merci à Vladimir Oulianov pour le titre)

C'est dans ce numéro qu'est paru le célèbre article de Gary à propos du réalisme dans D&D ; du grand classique. En terme « d'amertume et de vitriol », ironie du calendrier de la publication, on est servi. Je ne sais pas quelle était l'humeur ou l'ambiance de la « communauté » wargamo-roliste d'alors, peut-être était-ce la pression causée par le succès de D&D et la sortie prochaine d'AD&D, mais Gary semble particulièrement remonté. Jugez plutôt.
J'admets être parfois légèrement irrité à la lecture d'un article dans quelque obscure fanzine de D&D ou d'une lettre à un petit éditeur qui attaquent le jeu à coups d'arguments mal conçus ou dérivant d'une logique asinine.
« […] il y en a qui vocifèrent et qui semblent trouver plus de plaisir à dénigrer qu'à jouer.  La plupart des variantes qui prétendent améliorer le jeu le font sous la bannière du réalisme. Personnellement, j'en suis venu à soupçonner que cette bannière est le point de rassemblement des scélérats. »
Examinons ensemble l'argumentation de Gary…

  1. Premier argument : D&D est un jeu qui a été conçu pour être équilibré et cohérent. Sortir telle ou telle partie du système de son contexte pour la critiquer ou la modifier n'a pas de sens et risque de détruire « l'harmonie du tout. »
  2. Second argument : D&D étant un jeu fantastique, il est « absurde » de demander plus de réalisme.
  3. Troisième argument : D&D a sa propre logique, même si cette logique est « illogique ». Si, comme moi, vous ne saisissez pas totalement le raisonnement, je vous livre le texte brut.

« La logique, et même la logique du jeu, doit être transcendée dans l'intérêt global du jeu. Si une partie illogique ou incohérente trouve sa place parmi les autres pour former un tout supérieur, alors son illogisme et son incohérence mêmes sont logiques et en cohérence avec le cadre du jeu, car les règles existent pour jouer. »
À titre d'illustration, Gary reprend le cas des magiciens qui ne peuvent pas manier l'épée. Cette règle a pour simple justification le fait qu'on a séparé les magiciens des guerriers, et que chaque classe de personnage doit avoir son intérêt propre, sans quoi D&D lui-même perdrait tout intérêt. Sur cette question précise, quelques pages plus loin, un article "Why magic users & clerics cannot use swords" va en chercher la raison dans d'anciennes malédictions, inventées pour l'occasion. Je préfère encore l'argumentation gygaxienne.

Autre célèbre illustration : le refus catégorique des « coups critiques ». Pour Gary, c'est « tout le système qui est perverti, et le jeu potentiellement gâché, par l'inclusion de règles de mort subite ». En effet, Gary voit là quelque chose susceptible d'empêcher toute identification sur le long terme du joueur à son personnage, puisque ce dernier sera certainement mort avant que cet attachement ait le temps de se développer.  Les « weapon expertise » sont qualifiées de « foolish misconceptions » car contribuant indirectement elles aussi, à augmenter la mortalité du jeu.

Vous aurez remarqué qu'au cours de son discours, Gary glisse petit à petit de la défense de D&D (il a « sa » logique et son équilibre) à l'attaque des « améliorations » proposées. Sa principale motivation, si on lit bien le texte, c'est sa crainte de voir la majorité des joueurs se détourner de D&D si d'aventure celui-ci venait à changer. Pour Gary, il y a deux erreurs à éviter.
D'une part, comme on vient de le voir, augmenter la mortalité du système diminue l'espérance de vie des personnages, ce qui risque de décevoir les joueurs, ceux-ci perdant ayant à changer de personnage plus souvent que de raison.
D'autre part, un système plus réaliste serait plus ennuyeux : lancer des dés à n'en plus finir (endless die rolling) pour localiser les coups portés, déterminer quel type d'attaque et quelle façon de se défendre, etc. est simplement laborieux.

Le ton monte encore lorsqu'il aborde la proposition de remplacer la magie Vancienne par un système de points de sorts. Je suis à peu près certain qu'il a en tête quelque chose de précis mais qu'il ne peut ou ne veut nommer ; si quelqu'un a plus d'information à ce sujet, je suis preneur. Le fait est qu'il ne mâche pas ses mots :
« Les "spell points systems" sont aussi actuellement en vogue parmi le groupuscule qui sévit dans les pages de l'Amateur Press Association (APA).  Normalement, nul ne s'abaisse à prêter une quelconque attention à l'APA, car elle représente la lie des publications vaniteuses. On y trouve des pages et des pages de discussions banales et d'écrits ineptes provenant de personnes incapables de créer quoi que ce soit de publiable ailleurs. Par conséquent, ces gens payent pour vanter leurs idées de collégiens, critiquer ceux qui sont capables d'écrire et de concevoir, et, plus généralement, se rendre odieux. Bien qu'il existe des exceptions, elles bien trop rares pour relever le niveau général de la publication. C'est de ce bourbier que naquit l'idée d'utiliser des points de sort dans D&D.  » [si vous doutez des termes employés, lisez l'article en V.O.]
Après cette étonnante tirade, Gary se calme ensuite et admet l'existence de changements qui ne sont « ni nuisibles, ni particulièrement utiles » au jeu.  Ceux-là peuvent être acceptés par un groupe de joueurs si cela leur chante.

Pour finir, Gary s'en prend aux « petits éditeurs amateurs et de second ordre », qui ont accusé T.S.R. de conserver la propriété de D&D pour des raisons purement mercantiles. Gary, lui, défend son droit à empêcher les « ignorants » de pourrir son jeu et aux éditeurs de produits médiocres de profiter de sa marque. Si le ton et le fond de cet article me surprennent encore, en confirmation de mes soupçons quant à un conflit particulier entre TSR/Gygax et des tiers, une note de l'éditeur à la fin de l'article mentionne de « minables et vicieuses attaques » de la part de l'APA, et même un ancien collaborateur de The Dragon. Décidemment, entre l'APA et The Dragon, à cette époque, le torchon brûle.

Si quelqu'un peut me fournir des détails sur cet incident, je suis preneur, je me nourris de fiel…

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